« Histoires des 4 coins du monde », et les voix pour les porter

Ce jeudi 8 mars à Riquet, nous accueillons de nouveau en ASL l’Orchestre de Chambre de Paris pour travailler sur notre spectacle du 29 juin avec les apprenants. Aurélie Rochman, auteur, metteur en scène et notre partenaire sur le projet, nous rejoint également et présente la trame du conte musical qu’elle a écrit à partir de tous les contes rapportés précédemment par les migrants. Des histoires de chasseurs de lions de Gambie, de femmes sans bras ivoiriennes, de dragon chinois, de magie noire… tout cela avec les mots des apprenants.
Mais ces contes attendent leurs voix pour être portés face aux spectateurs, et c’est tout l’enjeu de ce soir, la prise de parole en public n’étant pas le fort de ces personnes au français parfois hésitant, et peu habituées à se mettre en avant. Peu à peu, sous les encouragements de tous, quelques uns se lèvent. Les premiers ne font que quelques pas face à nous, de toute la largeur de la salle, et s’arrêtent, plantent leur regard, sourient. Silencieux. D’autres suivent, et prennent la parole, debout face à nous, vingtaine de spectateurs, ne serait-ce que pour dire bonsoir, moi c’est Abdoulaye, je viens du Sénégal.
Les prises de parole s’enchaînent et s’allongent au fil de l’atelier, mais aucune femme ne se lève. Vissées à leur chaise, certaines n’osent même pas regarder ces orateurs d’un soir, les yeux plantés dans le sol. « Mais de quoi avez-vous peur au juste ? ». « Je n’ai jamais fait ça ». « Je ne suis pas à l’aise pour parler devant les gens ». « Je suis quelqu’un de discret ». « Je ne veux pas que l’on me regarde ». Une des apprenantes écoute attentivement, et se lève à son tour. D’une voix forte, elle alpague ses voisines. « Qu’est-ce qui se passe, les femmes ? Depuis tout à l’heure on laisse tout l’espace aux hommes. On se tait. Mais on est tous ensemble ! On est là pour apprendre le français ! On est là pour faire des progrès, avancer, ensemble ! Pourquoi est-ce qu’on ne laisserait les progrès qu’aux hommes ? Ce n’est pas difficile ce qu’on nous demande. Allez-y ! Levez-vous ! Parlez, prenez l’espace, personne ne va vous manger, il n’y a pas de crocodiles ici ! Allez, Aminata, à ton tour maintenant ! ». Tonnerre d’applaudissements. Aminata est venue, et après elle Sounkoutou, puis Namegnan, et puis et puis… Presque toutes se sont levées, ont réajusté leur tenue, levé le menton, soutenu le regard des autres, des hommes aussi. Dit le boum-boum que ça faisait dans leur ventre. Et la fierté aussi, de réussir à être là, à prendre la parole en public, en français, debout, pour la première fois.
En cette journée qui célèbre les droits des femmes, alors que le vernissage de l’expo « Capitaines Femmes » a lieu dans la salle conviviale à quelques mètres de nous, nous ne attendions pas à cette tournure de notre soirée, mais avons envie d’y voir un joli symbole…

Bérénice FLIPO
Bénévole ASL

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