Le moment est venu pour l’Etat de montrer sa gratitude envers les travailleurs étrangers

C’est à ne pas y croire : pour la 2ème année consécutive, l’Etat, financeur historique de l’apprentissage du français pour les populations immigrées depuis environ 50 ans, ne donnera pas un euro pour soutenir les ateliers sociolinguistiques (ASL) d’Espace 19. Des ateliers qui concernent en 2020, environ 120 habitants du 19ème arrondissement et des dizaines de bénévoles.

Cette nouvelle, reçue il y a dix jours, nous l’avons ressentie encore plus cruellement durant cette période que nous vivons au sein de nos quartiers où la population immigrée est très nombreuse.

En effet, cette terrible crise sanitaire qu’affronte notre pays met en exergue les arguments que, au côté des centres sociaux et associations de proximité, nous martelons depuis des années pour le maintien du financement des ASL : la détresse des personnes en grandes difficultés pour la compréhension des messages sanitaires et de prévention ; l’enfermement de celles et ceux incapables de comprendre et remplir les attestations de déplacement en confinement ; la grande difficulté pour les parents qui ne maîtrisent pas la langue de faire l’école à la maison pour leurs enfants. 

A contrario, durant ce confinement, le maintien des ASL à Espace 19 (et ailleurs), en dépit du non-sens économique à poursuivre une telle action, a été salutaire : nos dizaines de bénévoles, au côté de nos salariés, ont maintenu un lien plus que précieux, qui a permis la prévention, le maintien de certains droits, le partage d’informations sur l’actualité, la pandémie et les règles barrières à respecter … et au-delà, se sont créées partout, via les réseaux sociaux et le téléphone, des merveilleuses micro communautés humaines, riches, vivantes, solidaires qui font l’honneur des associations et aussi d’un pays ; tout sauf un luxe, face à l’isolement et la peur : des fabrications de masque à distance, l’envoi de messages de soutien, des débats, mais aussi d’essentiels fous rires …

Enfin, c’est une réalité que la crise nous fait regarder en face : ces hommes et ces femmes sont en première ligne comme tant d’autres travailleurs invisibles : ils participent à la collecte et au tri des déchets, à la sécurité, à la mise en rayon, à l’aide à la personne, aux livraisons. D’autres continuent à préparer les commandes dans des plates-formes logistiques, à faire la cuisine, la plonge, le gardiennage. Ils prennent le risque d’être contaminés. Ils font partie, comme l’a dit le Président de la République, de celles et ceux que « nos économies reconnaissent et rémunèrent mal ».

Il est temps d’entendre enfin nos revendications. Un geste qui serait à la fois un symbole fort et une politique vertueuse : rappelons-le, l’investissement nécessaire pour pérenniser et développer les ASL est modique à l’échelle du pays (7 milliards pour sauver Air France ; quelques millions pour que tous les citoyens maîtrisent le français). Il est surtout dérisoire par rapport aux bénéfices qu’il apporte aux familles concernées et à la société tout entière.

Le temps semble donc venu de mettre en pratique les propositions et avis de deux rapports publiés durant ce quinquennat : celui du député LREM Aurélien Taché et le plan pauvreté, qui soulignent tous deux la nécessité du maintien des ASL, notamment dans les centres sociaux.

Nous demandons, plus globalement, que soit revue la situation des travailleurs étrangers sans papier et de régulariser[i], comme le fait le Portugal, celles et ceux qui cotisent à la Sécurité Sociale sans en bénéficier, et  qui tiennent notre vie sociale et notre économie à bout de bras

Il est temps enfin de reconnaître que la participation de tous à la vie locale, par le travail comme par l’initiative solidaire, par l’impôt comme par l’engagement associatif et citoyen, doit se traduire par le droit de vote des immigrés aux élections locales.

Cette crise amplifie les inégalités déjà installées dans notre société, elle révèle les risques encourus lorsque nous laissons des personnes dans des zones de non-droit et de détresse sanitaire et humaine. A l’inverse, elle montre les apports de la solidarité et de l’accès à la citoyenneté, des valeurs chères à Espace 19, et la nécessité de nous recentrer sur l’humain pour construire le monde de demain.


[i] Pour lire et soutenir la demande de régularisation envoyée au Président de la République, c’est ici : https://blogs.mediapart.fr/pour-la-regularisation-definitive-des-sans-papiers/blog/200420/lettre-ouverte-au-president-de-la-republique-pour-la-regular